Jean-Claude Chermann : Un grand « oublié » du Nobel à Cimiez – Né à Paris en 1939, Jean-Claude Chermann fut le retrovirologue de l’institut Pasteur à l’origine de la découverte du VIH (virus de l’immunodéficience humaine). Mais en 2008, 25 ans après cette découverte et la pandémie qui suivit, le comité du Nobel fit l’impasse sur son travail, récompensant Luc Montagnier (son directeur d’unité) et Françoise Barré-Sinoussi, son assistante de recherche. L’affaire fit des vagues dans le monde scientifique et les médias. Un comité de soutien pour réparer cette injustice fut créé autour de centaines de chercheurs, médecins et journalistes de toutes nationalités.

 

 

Dix ans plus tard JC Chermann vit sa retraite à Nice, face aux arènes de Cimiez. Il revient sur son parcours et sur l’affaire Nobel, un tournant dans sa carrière qu’il relate dés 2009 dans un livre* coécrit avec le journaliste de France Télévision, Olivier Galzi : « Le lendemain de l’annonce du Nobel j’étais KO debout. Mes collègues qui connaissaient ma réelle implication dans cette découverte m’ont encouragé à rétablir la vérité. Ce fut libérateur mais la cicatrice ne s’est pas complètement refermée » explique JC Chermann avec le recul et une sagesse acquise de dure lutte.

Car sa réussite d’homme de science il la doit à un véritable parcours du combattant. Toute sa famille du coté paternel fut déportée et exterminée à Auschwitz. Son père marié à sa mère de religion catholique en réchappe, mais les parents divorcent. L’enfant est envoyé chez ses grands parents dans un petit village de Seine et Marne : « J’avais 12 ans quand j’ai pu rejoindre ma mère à Paris. Etant un élève doué mon instituteur lui conseilla de me faire passer le concours d’entrée en 6 éme au lycée Condorcet. Quelques années plus tard après un changement de domicile, j’étais en section littéraire au lycée Michelet. J’ai passé mon premier bac B puis celui de sciences expérimentales » Le jeune homme veut poursuivre ses études en médecine mais issu de famille modeste l’enjeu est de taille. « Alors je me suis mis à travailler dans les fêtes foraines où je vendais des frites, des saucisses et des moules. Je gagnais pas mal d’argent, mais le rythme était épuisant » Ces extras lui permettent toutefois de financer son cursus et d’acheter un scooter avec lequel il aura un grave accident qui le défigura.

Après sa Licence obtenue à la Faculté des Sciences de Paris, il passe sa thèse de doctorat à l’Institut Pasteur, « j’y suis resté 25 ans  de 1963 à 1988 ». Suite à sa découverte, JC Chermann dirigera à Marseille une unité de recherche au sein de l’Inserm de 1989 à 2001, avant de fonder la société URRMA Biopharma à Aubagne, toujours dans l’espoir de trouver un vaccin universel. « À Paris c’était le rôle du VIH dans le SIDA. A Marseille le rôle du retrovirus dans les maladies associées».

Rétrovirologue reconnu par la communauté scientifique comme codécouvreur du virus du sida en 1983. Le comité Nobel l’a pourtant mis sur la touche ! « Quand le VIH est apparu ce fut dans mon labo à Pasteur ou j’effectuais mes recherches aux cotés de Luc Montagnier et de mon élève Françoise Barré-Sinoussi qui fit sa thèse sous ma direction». JC Chermann est d’ailleurs co-signataire de la publication, dans la revue américaine Science, de l’article qui, révèle la découverte le 20 mai 1983. Alors pourquoi cette éviction ? « Il est possible que la parité homme/femme ait joué. Au moment de l’affaire du sang contaminé, j’étais suppléant de Tapie, promu Ministre, et député des Bouches du Rhône. À l ‘Assemblée Nationale j’ai voté pour la comparution de Fabius devant la Cour de justice. Je ne me suis pas fait que des amis ! Sans compter la séquence avec Robert Gallo qui revendiqua en 1984 aux USA la paternité de la découverte et qui créa une polémique franco-américaine. Mais je n’ai pas de considération pour ce comité Nobel. Il est bien loin, le temps où Marie Curie allait chercher la radioactivité avec une brouette. Aujourd’hui la recherche se fait en équipe au sein de grandes unités. Il faut changer ce mode de récompense caduque. » L’affaire eut d’autres effets pervers. « Etre évincé du Nobel dans ces conditions jette le soupçon sur vous quand ce n’est pas l’opprobre. Etais-je vraiment le découvreur ou un affabulateur ? Evidement après l’annonce du prix mes investisseurs m’ont lâché et j’ai trouvé porte close dans ma propre société créée en 2001. »

JC Chermann prend aujourd’hui les choses avec philosophie : « J’ai fait un parcours exceptionnel. Je peux me regarder dans un miroir. J’ai siégé à l’Assemblée nationale tout en menant de front mes recherches, un épisode épuisant mais édifiant… ». En 2009 le Scientifique est promu Officier de la Légion d’honneur.

 

Si c’est à Cassis qu’il a longtemps résidé, c’est à Nice que JC Chermann a choisi de venir couler des jours tranquilles. Une ville avec laquelle il avait déjà des liens : « j’y ai fais des conférences, rencontré les responsables régionaux du Sida comme les professeurs Dellamonica et Cassuto » Jacques Médecin lui remit la médaille de la ville de Nice. Il initia et pilota le Comité du Sida de la région PACA. « Il y a plus de deux ans que l’on habite avec mon épouse à Cimiez. J’apprécie ce calme après la tempête, dans cette campagne dominant la ville. Cet été nous avons gouté au charme du festival de musique du Cloître. On se ballade souvent dans le parc des arènes jusqu’au jardin du Monastère, un lieu magique ! Nous allons au théâtre, à l’opéra. Le réseau de bus nous permet d’aller partout en ville sans prendre de voiture. Et puis à Nice, finit le mistral ! (Rires). JC Chermann envisage de faire dans sa nouvelle ville d’adoption, une dédicace de son ouvrage qui faillit être porté au grand écran « François Berléand devait jouer mon rôle. L’attaché de presse étant trop gourmand la société de production n’a pas suivi. Mais tout ce que j’ai écrit dans ce livre témoignage est encore d’actualité et demeure riche en enseignements pour l’avenir de la recherche »

 

 

Car même à la retraite et après ces années de soufre, JC Chermann est toujours animé de la même passion. Il continue à donner des conférences et des master-class dans des universités en France et à l’étranger. « Je reste dans le bain. Ce que j’enseigne c’est que l’on n’est pas prêt à affronter un nouveau virus. Le sida n’est pas une maladie chronique. La prévention a tort de baisser la garde. Il y a 40 000 séropositifs en France qui s’ignorent. Une catastrophe est probable dans les prochaines années car le virus mute et tout ne repose aujourd’hui que sur l’application de méthodes. Après le Nobel en 1965 attribué à Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff, un institut de biologie d’immunologie ainsi qu’un institut de biologie moléculaire ont été crées. Ce dernier a pris le pas sur l’immunologie, c’est une grave erreur car la biologie moléculaire reste un outil, et si vous n’avez pas le modèle, la bonne sonde, vous ne trouverez jamais rien ! »

 

* Tout le monde doit connaître cette histoire. Éditions Stock coll. « Documents »

 

 

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